Les Pipes par Jean Coulot
Carnet de dessins 1963
C’était en 1963, lors d’un dîner aussi animé que généreusement arrosé, un de ces soirs où le vin se mêle aux rires et où la bêtise se fait muse. Au centre de la table, entre un verre de Bourgogne et un paquet de Gauloises, Coulot, avec son humour suisse décalé et son crayon gras à la main, dégaine son fidèle carnet de dessin.
« Et si on croquait les maîtres ? » lança-t-il, le regard pétillant. Mais chez Coulot, le mot croquer n’a jamais été innocent. Ce soir-là, il s’attaqua non pas à leurs visages, mais à leurs « pipes », celles des artistes phares de l’art moderne d’après-guerre.
Non celle surréaliste de Magritte, mais celles de Picasso, Braque, Buffet, Soulages, sans oublier « le truc à Vieira da Silva » et un autoportrait de Coulot.
Un bestiaire viril, joyeux et irrévérencieux, où chaque attribut devient autoportrait, où le style du trait répond au tempérament du modèle.
Cet exercice de style, à la fois drôle et délicieusement subversif, ressemble à un miroir où les artistes de la modernité se regardent sans fard, mais avec humour. Ce n’est pas une moquerie, c’est une révérence, celle d’un peintre qui sait que le génie, parfois, s’exprime aussi dans la légèreté, transformant son carnet en un musée parallèle : celui des egos, des mythes et des légendes revisités par le prisme le plus intime
Ce carnet n’est pas un simple caprice de bistrot. C’est une petite leçon d’humanité.
Car si l’on rit en tournant ces pages, c’est qu’au fond, on y reconnaît les grands hommes, non dans leur gloire, mais dans leur simple, universelle, et joyeuse fragilité.